La chute de la société financière GREENSILL : un mauvais procès fait au reverse factoring ?
Le lundi 8 mars 2021, tremblement de terre dans le monde de la finance digitalisée, la fintech GREENSILL, intervenant majeur du financement des entreprises dans le monde, dépose le bilan au Royaume-Uni, dépôt de bilan également en Australie de la holding de tête et mise en redressement judiciaire de sa filiale bancaire en Allemagne, la GREENSILL BANK.
C’est un tremblement de terre car GREENSILL finançait une quarantaine de grands groupes dans le monde représentant près de 50 000 emplois. Pour la France, c’est la filière métallurgique qui est durement touchée via le groupe GFG ALLIANCE (GUPTA FAMILY GROUP), groupe indien de Sanjeev GUPTA, qui possède plusieurs aciéries et métalleries françaises, dont :
-ASCOVAL à Saint-Saulve (Nord)
-ALUMINIUM DUNKERQUE (Nord)
-FRANCE RAIL INDUSTRY (Hayange, Moselle)
-FONDERIES DU POITOU (Ingrandes, Vienne)
-AR INDUSTRIE (Chateauroux)
Au niveau mondial, tous les clients de GREENSILL sont impactés, de grands groupes comme GUPTA, mais aussi des collectivités locales en Allemagne.
L’histoire commence en 2011 quand Alexander (dit Lex) GREENSILL fonde la société GREENSILL CAPITAL à Londres. Lex GREENSILL est australien mais il a travaillé plusieurs années dans les banques d’affaires anglo-saxonnes Morgan Stanley, Citigroup et JP Morgan.
Son projet est de financer la « supply chain finance » c’est-à-dire le crédit inter-entreprises entre fournisseurs et clients en faisant intervenir des sociétés de financement tierce pour apporter les lignes de financement durant le temps de décalage entre le financement des fournisseurs et le remboursement par les clients.
Ce mécanisme appelé « reverse factoring » ou affacturage inversé est déjà une pratique bancaire de financement des entreprises, et de nombreuses banques le pratique au niveau mondial.
L’originalité de GREENSILL CAPITAL a été de se positionner sur ce seul segment et dans faire son cœur de métier.
Le client passe commande auprès de son fournisseur, celui-ci livre la marchandise ou fait la prestation. Le fournisseur envoie sa facture au client qui la transmet à son factor, et celui-ci la règle sous 12 à 24 heures au client (pour qu’il règle son fournisseur) ou bien directement au fournisseur.
Une fois l’échéance de paiement atteinte le client va régler la facture au factor pour le rembourser de son avance.
Pour se rémunérer de ses services et de l’avance des fonds, le factor va prélever une commission.
A partir de l’étape 4 jusqu’à l’étape 7, toutes les opérations se font sur la plateforme informatique du factor.
Au début, le succès est au rendez-vous et GREENSILL engrange les contrats de financement, son portefeuille clients s’élargit et compte des entreprises comme GFG ALLIANCE (géant mondial de l’acier) et BLUESTONE RESOURCES (groupe américain minier).
Pour financer ses opérations de paiement fournisseurs pour le compte de ses clients, GREENSILL émet des obligations qui sont souscrites par des fonds gérés notamment par le suisse CREDIT SUISSE et le japonais SOFTBANK. Les fonds gérés par le CREDIT SUISSE comprenaient de nombreux investisseurs professionnels (plus de 1000) et la ligne de financement avait atteint 10 milliards de dollars début mars 2021.
Le système était bien huilé, les fonds étaient apportés par les investisseurs de CREDIT SUISSE et SOFTBANK, ces fonds permettaient de payer les fournisseurs des clients de GREENSILL CAPITAL.
Une commission attractive rémunère les investisseurs professionnels qui trouvent un intérêt financier conséquent à souscrire au fond « GREENSILL ».
De l’autre côté de la « supply chain » les clients règlent GREENSILL aux échéances prévues, ce qui permet à GREENSILL CAPITAL de rembourser les investisseurs.
GREENSILL CAPITAL se rémunère par une commission sur ses clients et le système fonctionne correctement. Le fondateur de GREENSILL CAPITAL, Lex GREENSILL, est alors au sommet de sa gloire dans le milieu de la finance international.
Pourtant, un grain de sable va venir faire dérailler cette belle mécanique, ce grain de sable c’est la COVID-19 .
Le ralentissement de l’économie mondial lié à la pandémie va toucher des secteurs plus que d’autres, la chute de l’activité aéronautique et la baisse du secteur automobile vont réduire la production d’acier, d’aluminium et d’autres matières métallurgiques de production.
Et dans ces secteurs un groupe va être particulièrement touché, c’est le groupe GFG de Sanjeev GUPTA qui prend de plein fouet le ralentissement économique de son secteur, avec des baisses de commandes dépassant parfois 50%.
La conséquence directe est qu’il va souffrir de plus en plus pour honorer ses échéances de paiement auprès de GREENSILL CAPITAL, et ce dernier va aussi souffrir de plus en plus pour rembourser les investisseurs.
Enfin, une autre raison semble se rajouter pour expliquer la faillite de GREENSILL CAPITAL, la faiblesse de ses marges commerciales, car GREENSILL pour attirer des investisseurs leurs a servi des taux de rémunération attractifs, plus élevés que le marché.
Mais de l’autre côté, côté clients, GREENSILL a dû rester dans les taux du marché pour assurer son développement commercial. Conséquence, des marges faibles insuffisantes pour assoir la stabilité financière du modèle économique.
Point particulier qu’il faut souligner, c’est que les fonds investis faisaient l’objet d’une assurance qui permettait aux investisseurs d’être garanti à hauteur de 75% des montants financés.
Mais quand les assureurs ont commencé à s’inquiéter de la santé financière des clients de GREENSILL et notamment de GFG ALLIANCE, ils ont rapidement coupé leurs garanties de financement .
C’est un coup fatal car les contrats d’investissement prévoyaient que les fonds devaient être assurés, la levée de l’assurance a automatiquement conduit le CREDIT SUISSE à geler tous les fonds qu’il gérait.
La conséquence directe fut la coupure de tout financement de GREENSILL CAPITAL et son dépôt de bilan automatique.
Quand on lit les différents articles de presse sur ce sujet, il semblerait que le responsable soit le reverse factoring de GREENSILL CAPITAL, son montage financier complexe et atypique, bref un système de financement compliqué et un peu abscons qui suscite la méfiance.
Mais quand on se donne la peine d’analyser les origines du problème, on voit que le reverse factoring ( l’affacturage inversé ) n’est pas en cause dans sa technique de fonctionnement.
Puisque l’origine du problème est la santé financière dégradée du client GFG ALLIANCE qui a conduit à la levée des assurances et donc du financement.
La seule erreur visible que l’on peut relever chez GREENSILL CAPITAL, c’est d’avoir laissé un client, en l’occurrence GFG ALLIANCE prendre une part trop importante dans le financement global, puisqu’il représentait entre 50 et 60 % des financements de GREENSILL.
A ce niveau de pourcentage on est en état de concentration excessive et le financeur devient trop dépendant de l’évolution du financé.
C’est ce qui s’est malheureusement passé pour GREENSILL qui s’est lié pieds et poings à GFG et qui n’a pas pu éviter la chute.